10/03/2023
"La ligne dure de Meloni rivalise avec la ligne encore plus dure de la Ligue de Salvini."
Italie. Revue de presse.
L’adoption de nouvelles mesures sur l’immigration et la lutte contre les passeurs en Conseil des ministres, qui s’est tenu hier à Cutro, lieu du naufrage tragique de migrants, fait les gros titres « Des peines jusqu’à 30 ans pour les passeurs » (Corriere della Sera), « Le gouvernement s’est arrêté à Cutro » (La Repubblica), « Meloni annonce des peines jusqu’à 30 ans pour les passeurs » (La Stampa), « La chasse est ouverte contre les passeurs » (Il Giornale), « Le gouvernement augmente le quota annuel de travailleurs étrangers mais veut réduire voire abolir la protection spéciale » (Avvenire). « La réforme de la fiscalité avec trois taux d’imposition » (Sole 24 Ore, Il Messaggero). « Frappes russes sur toute l’Ukraine, la vengeance de Poutine » (Corriere). « Aides d’Etat à l’industrie, des règles européennes plus souples » (Sole 24 Ore).
COMMENTAIRE, Corriere della Sera, M. Franco « Une affaire que l’Exécutif a du mal à clore » : « Le Conseil des ministres qui s’est réuni hier à Cutro, en Calabre, a tenté de refermer au moins symboliquement la blessure ouverte par la tragédie des 72 migrants morts noyés la nuit du 26 février en raison du retard des secours. Toutefois, du point de vue politique, la plaie reste béante : d’une part parce que l’opposition met toujours l’accent sur la confusion opérationnelle à laquelle on impute la responsabilité du naufrage, d’autre part car, au-delà d’une unité de façade, la thématique de l’immigration demeure un motif de frictions pour le gouvernement. Les tensions ont émergé aussi pendant la conférence de presse d’hier après-midi. C’est dans ce climat que la Présidente du Conseil a revendiqué la sévérité des nouvelles mesures adoptées notamment à l’égard des passeurs. A cette ligne dure, Meloni ajoute la question de la collaboration avec l’Europe : un soutien qui a été constaté ces derniers temps mais qui reste à un stade embryonnaire. Meloni a ouvert la porte aux quotas de migrants venant des pays qui collaborent avec l’Italie. Mais l’affaire demeure sensible aussi au sein de la majorité. »
COMMENTAIRE, La Repubblica, S. Cappellini « Cette fuite face aux responsabilités » : « Le gouvernement s’est déplacé pour un jour à Cutro pour tenter de récupérer un peu de dignité perdue après le drame du naufrage. Toutefois, la posture idéologique assumée initialement par la majorité n’a pas changé. L’adoption en Conseil des ministres d’un paquet de mesures plus strictes contre les ‘’trafiquants d’êtres humains’’ reste une manière de détourner l’attention de la question des responsabilités dans la chaine des secours aux réfugiés et à mélanger différents sujets, afin d’occulter le poids des choix politiques pouvant produire d’autres drames comme celui de Cutro. Ce qui a marqué les esprits aussi, dans la conférence de presse d’hier, c’est que le premier ministre Meloni parlait de la politique migratoire comme si les gouvernements précédents n’avaient rien fait. Ce n’est pas inédit, cette impression d’éternelle « année zéro » qui commencerait avec son gouvernement, posture typique du populisme sous toutes les latitudes. Comme s’il n’y avait pas eu avant de gouvernements de droite. A cela s’ajoute le caractère incongru d’invoquer des interventions et de la solidarité de la part de l’UE sans jamais avoir pris en compte l’alliance entre notre droite souverainiste et ces gouvernements, de la Pologne à la Hongrie, qui ont systématiquement empêché toute tentative européenne d’introduire des règles plus solidaires et moins dures pour les pays comme l’Italie qui, pour des raisons géographiques, représentent la porte naturelle d’accès au continent. »
COMMENTAIRE, Avvenire, de M. Ambrosini « Il était difficile de faire pire » : « La ligne dure de Meloni rivalise avec la ligne encore plus dure de la Ligue de Salvini, qui propose le retour des décrets (in)sécurité de 2018. Ces mêmes mesures qui ont dû être revus après l’avis de la Cour Constitutionnelle et qui ont été remises en question par le Président Mattarella. Ce conseil des ministres devait donner des réponses à la question des migrations, un thème bien plus large que les seules arrivées par la mer. Les premiers cinq articles du décret sont destinés à modifier les décrets sur les flux qui régulaient les entrées régulières pour travail. Des normes attendues et demandées par le monde des entreprises, qui depuis longtemps exprime le manque de main d’œuvre. Jusqu’à présent, ces décrets ont servi à régulariser des travailleurs irréguliers déjà entrés en Italie. Les nouvelles normes ont le mérite de simplifier les procédures pour l’obtention des permis de travail, mais on ne sait pas si les employeurs seront prêts à délivrer des contrats de travail nominatifs à de parfaits inconnus. Quant à la prévention des arrivées spontanées de réfugiés, le gouvernement italien prévoit des quotas préférentiels pour les pays qui organiseront des campagnes de prévention pour empêcher les départs. C’est une piste déjà explorée par l’UE qui prévoit des sommes d’argent importantes et des résultats contreproductifs. Enfin le durcissement des peines pour les passeurs : ces gens sont souvent le dernier maillon de la chaine des transports illégaux. Les chefs ne risquent pas leur vie en mer. Par ailleurs, parmi les passeurs arrêtés à Cutro, il y avait un mineur. Ils sont souvent utilisés : il y a quelque temps, une cinquantaine de mineurs se trouvaient encore en prison pour des délits semblables. Mais c’est un ajout de dernière minute dans le texte du décret qui va surtout envenimer l’avenir des réfugiés : le périmètre du permis de protection spéciale a été fortement réduit et sera bientôt aboli, comme annoncé par la Présidente du Conseil. C’était un instrument qui permettait de protéger ceux qui, privés du statut de réfugié, avaient fait des pas vers l’intégration sociale, par exemple en apprenant l’italien ou en ayant trouvé un emploi. Les refouler dans l’obscurité, et donc dans la rue, sera un drame pour les intéressés et un problème pour nous tous. »
COMMENTAIRE, La Stampa, N. Zancan « Cet hommage qui a manqué aux cercueils des victimes» : « Cela ne s’est pas tenu sur la plage du naufrage, ni près des cercueils des victimes mais loin de la mer et de la douleur. Treize jours après la tragédie de Steccato di Cutro, le gouvernement italien s’est présenté pour déclarer une lutte sans frontières contre les trafiquants d’êtres humains. Ce sont justement les victimes du naufrage qui étaient les vrais absentes de la journée d’hier. En conférence de presse, c’est encore l’artifice rhétorique qui est proposé : ‘’il y a vraiment quelqu’un ici qui pense que le gouvernement pouvait sauver des vies et qu’il n’a pas voulu le faire ?’’ lance la Présidente du Conseil. Puis tout le monde se lève, et cette présence du gouvernement à Cutro – organisée dans les moindres détails – prend une tout autre tournure. A la question lancée : ‘’pourquoi vous n’êtes pas passée témoigner de votre solidarité aux parents des victimes à Crotone ? Hier ils ont passé la nuit dans la rue pour protester’’, Meloni répond : ‘’Regardez, je viens de terminer maintenant. Mais je peux m’y rendre sans problème’’. Puis elle se tourne vers le ministre de l’Intérieur Piantedosi ‘’Si cela dépend de moi, nous pouvons même y aller’’. Mais personne ne s’y rendra. »
ARTICLE, Il Foglio, F. Canettieri « Scènes d’une conférence de presse qui a échappé à tout contrôle » : « Puisque le ministre de l’Intérieur Piantedosi (Indépendant) était lui aussi présent, il aurait pu appliquer les nouvelles mesures anti-rassemblements festifs car la conférence de presse d’hier de Meloni (avec cinq ministres et le Secrétaire d’Etat) s’est transformée en un véritable chaos. La Présidente du Conseil a été mise sous le feu des questions des journalistes calabrais dans un échange marqué par des accusations et des justifications, des cris, des regards étonnés. Du jamais vu. On a pu voir la secrétaire particulière de la Présidente du Conseil hurler au nouveau porte-parole Mario Sechi ‘’Mario, bloque les journalistes !’’ On assiste à une scène irréelle, avec la Présidente du Conseil qui se dispute, qui répond, qui fait des grimaces aux journalistes ‘’vous voulez dire que le gouvernement a fait mourir une soixantaine de personnes ?’’. On lui explique alors calmement qu’il y aurait tout au plus un problème dans la chaine des secours et la légitimité des questions sur les raisons qui ont poussé la brigade de finances à rentrer sans lancer l’alerte face à une barque en détresse dans une mer démontée. Meloni se trompe dans le déroulement des faits, elle confond aussi sur l’intervention de Frontex. Elle est systématiquement corrigée par les journalistes présents. Le porte-parole lance ‘’ça suffit, ce n’est pas un débat !’’. Dans cette sorte de foire, tout le monde est désorienté et Salvini s’en réjouit. Meloni est en difficulté. Cela n’a pas vraiment été une journée mémorable, avec les manifestants qui lançaient des peluches contre les voitures du cortège gouvernemental. »
PREMIER PLAN, Corriere della Sera, de F. Basso, « La France réprimande l’Italie : ‘’elle ne reprenait qu’un migrant sur 10’’ ; l’UE accélère vers un nouvel accord » : « La voie qui mènera à l’accord pour un nouveau Pacte sur l’asile et les migrations, présenté en 2020 et encore en négociation entre les pays membres, est étroite. Cela nécessitera, entre temps, l’application de l’actuel règlement de Dublin (selon lequel les pays de première entrée ont la responsabilité d’enregistrer les migrants et gérer les demandes d’asile) a souligné la ministre suédoise chargée de l’Immigration et dont le pays assure actuellement la présidence tournante de l’UE. Pour la ministre Stenergard en effet, même si les négociations aboutissaient rapidement, ‘’il faudrait plusieurs années avant que le nouveau système soit opérationnel, il est donc fondamental que le système actuellement en place soit observé correctement’’. Le Conseil affaires intérieures d’hier a surtout servi à rappeler les demandes et les attentes de chacun. La veille, six pays UE (dont la France) plus la Suisse, des pays non pas d’arrivée mais vers lesquels les migrants se rendent dans un second temps et demandent la protection, ont appelé à une ‘’amélioration du système actuel dans une optique de partage des responsabilités, de solidarité et de sincère coopération pour l’application des règles existantes’’. Ils disent leur volonté de progresser vers un nouveau pacte migratoire mais posent comme condition le respect des règles actuelles. A aucun moment la déclaration ne cite l’Italie explicitement. Mais le ministre français de l’Intérieur a observé lors de son arrivée au Conseil que ‘’le règlement de Dublin est désormais très complexe, il ne fonctionne quasiment plus avec certains pays, notamment l’Italie’’. Le ministre Darmanin a expliqué qu’à l’époque de la crise autour de l’Ocean Viking ‘’l’Italie ne reprenait qu’une personne sur 10’’, ‘’il est clair que sur ce point il faut faire mieux, par exemple à travers des accords bilatéraux qui fonctionnent bien, je pense notamment à celui entre la France et l’Allemagne’’. Il reconnait toutefois avoir eu un ‘’échange très positif’’ avec son homologue italien avec qui il se rendra à la frontière franco-italienne prochainement pour ‘’continuer cette discussion’’. Quoiqu’il en soit, il y a une volonté commune de progresser à 27. Lors de la réunion l’Italie était représentée par le secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Nicola Molteni, qui a notamment attiré l’attention sur la crise économique et financière en Tunisie, la nécessité de renforcer les rapatriements et une meilleure coordination des secours par rapport au rôle des ONG. Il s’est également dit satisfait des positions exprimées par les différents pays tout en appelant à rapidement passer des paroles aux actes. »
PREMIER PLAN, La Stampa, de M. Bresolin, « L’UE fait un procès à l’Italie » : « ‘’Seuls 10% des demandeurs d’asile qui arrivent sur notre sol sont enregistrés dans le système prévu par le règlement de Dublin’’ souligne le ministre hollandais chargé de l’Immigration. Son gouvernement est à l’origine de la lettre signée par 7 pays dits de "mouvements secondaires" (dont la France), reprise hier lors du Conseil affaires intérieures de l’UE et déplorant le fait que l’Italie ne respecte plus le règlement de Dublin. A l’issue de la rencontre, le ministre hollandais explique que le système d’accueil des Pays-Bas est à la limite et ne pourra bientôt plus accueillir ces personnes dans de bonnes conditions. Selon sa vision des choses, ce n’est pas l’Italie qui aurait besoin de la solidarité européenne : ‘’Si nous observons les chiffres réels, nous nous apercevons que le véritable poids ne repose pas sur l’Italie ou la Grèce mais sur l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas’’. L’appel au respect du règlement de Dublin est très clair, y compris de la part de la présidence suédoise qui considère la situation actuelle comme un obstacle à la réforme des règles sur l’asile. Si le document ne cite pas explicitement l’Italie, les ministres le font, notamment le ministre français Darmanin. ‘’L’Italie doit faire davantage’’ insiste le ministre qui espère négocier un accord bilatéral avec Rome, ‘’nous nous sommes engagés sur le volet des relocalisations mais l’accueil n’a pas eu lieu pour le moment pour des raisons d’actualité (l’incident sur l’Ocean Viking, note du journaliste) mais aussi par manque de progrès sur le plan des responsabilités’’. En d’autres termes, tant que l’Italie ne récupèrera pas les migrants qui ont passé la frontière, la France continuera à ne pas respecter l’accord (sur base volontaire) sur les relocalisations. Lors de l’échange, presque tous les ministres évoquent la tragédie de Cutro. Le gouvernement allemand s’est dit prêt à accueillir les survivants. Le secrétaire d’Etat à l’Intérieur Nicola Molteni demande l’intensification des rapatriements, l’augmentation des fonds européens, mais surtout des accords bilatéraux avec la Libye et la Tunisie. Concernant Tripoli, les autres pays se montrent sceptique, un accord étant jugé impossible à l’heure actuelle. En revanche, la Commission s’est dite prête à travailler à un accord avec Tunis pour mettre un frein aux départs. Molteni s’est dit satisfait de la réunion, même si lorsque le secrétaire léghiste a tenté d’insister sur la question des bateaux d’ONG, l’appel à fixer des règles communes à l’échelle de l’UE en la matière est rapidement tombé à l’eau. »
ARTICLE, Il Messaggero, P. Palombeni « Une urgence que l’Europe aussi est appelée à résoudre » : « L’argument selon lequel celui qui débarque en Italie (tout comme en Espagne, en Grèce ou encore à Malte) arrive en Europe, a souvent été utilisé pour demander la redistribution des migrants également auprès des pays qui ne sont pas de premier accueil. Le succès de cette stratégie a été plutôt modeste et a vocation à rester ainsi sans un saut de qualité juridique. Ce n’est qu’en prévoyant un cadre juridique de législation européenne qu’il sera possible de marquer une nouvelle phase. Il faut affronter le phénomène par le biais d’une gestion partagée et basée sur une structure communautaire : cela aiderait à réduire les différences d’approche des différents pays membre. L’Italie peut augmenter son prestige international en tentent de devenir ce laboratoire pouvant offrir une nouvelle approche au problème, en abandonnant l’illusion de pouvoir le régler comme un phénomène transitoire gérable avec le recours à la solidarité d’urgence pour ensuite le laisser à son destin. »
(Traduction : ambassade de France à Rome)
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