"L’appel inaudible de la Présidente du Conseil."
22/07/2024
Italie. Revue de presse.
Le retrait de Joe Biden de la course pour un nouveau mandat à la Maison Blanche et le soutien à sa vice-présidente Kamala Harris face à Donald Trump fait la une de la presse italienne. « Adieu Biden, votez Harris » (Corriere della Sera), « Adieu à la Maison Blanche » (La Repubblica), « Bye bye Biden » (La Stampa), « Biden se retire de la course et apporte son soutien à Kamala » (Il Messaggero), « Biden se rend » (Il Fatto Quotidiano, Il Giornale). L’agression d’un journaliste à Turin par des membres de Casapound est également très citée.
ANALYSE, La Stampa, d’A. Palladino, « CasaPound, la stratégie de la violence : voilà comment est née la fabrique de la haine » : « "Dans le doute, frappe", tel est le crédo du fondateur et leader de CasaPound, Gianluca Iannone. Un crédo qui résume la longue histoire de la pratique violente du groupe né dans les années 2000, rassemblant de nombreux éléments de la galaxie fasciste, notamment à Rome. Dès octobre 2008, Place Navone, un groupe du Bloc étudiant - une organisation de jeunesse de CasaPound - s'en prend à des étudiants manifestant contre la réforme scolaire. Les images sont impitoyables. Casques, lunettes noires, battes, des sangles utilisées en guise de fouet, style militaire. Au premier rang, Francesco Polacchi, qui deviendra l'éditeur et l'entrepreneur de référence du mouvement. Quelques jours plus tard, en novembre 2008, toujours à Rome, une quarantaine de personnes se présentent devant les studios de la RAI. Ils visent la rédaction qui avait couvert les faits de la place Navone : une expédition punitive contre les journalistes du service public. La plupart des membres du groupe sont identifiés ; tous les dirigeants en font partie, le procès s’est terminé par un acquittement pour prescription. Un groupe antifasciste basé à Bologne, collecte, documente et géolocalise depuis plusieurs années tous les signalements d'attentats commis par des groupes néofascistes. Selon l'étude, 80 épisodes peuvent être attribués à des militants de CasaPound, entre 2014 et 2020. Ce chiffre est incertain, les procès aboutissent rarement. Les victimes des attaques du mouvement néo-fasciste ne sont pas seulement des journalistes ou des chanteurs de gauche. Ils ont toujours eu une cible beaucoup plus sensible, les migrants, les étrangers, les Roms. En juillet 2015, alors que des réfugiés devaient être transférés des militants de Casapound s’en sont pris à leur bus. Idem trois ans plus tard. Pas d'affrontements cette fois, mais des propos haineux. La haine raciale, mène à l'accusation la plus lourde pour le groupe, qui est tombée le 12 juillet, lorsque le tribunal de Vérone a ordonné la détention provisoire de sept militants de CasaPound. L'acte d'accusation des magistrats fait suite à une descente de police contre des familles d'origine maghrébine fêtant la victoire du Maroc contre l'Espagne à la Coupe du monde de football ; selon l'enquête, les sept militants néofascistes présents ce soir-là ont bloqué et agressé plusieurs personnes, les frappant avec des ceintures et des bâtons au cri de "retournez dans votre pays". Ils n’hésitent pas à blesser les forces de l’ordre et agents de sécurité. L'attaque l’autre nuit à Turin n'est que le dernier épisode d'une série de violences qui dure depuis au moins quinze ans. »
EDITO, La Stampa, de M. Sorgi, « L’appel inaudible de la Présidente du Conseil » : « Outre la gravité de l’agression d’Andrea Joly, le journaliste de La Stampa, passé à tabac alors qu’il ne faisait que son travail – il filmait les coulisses d’une réunion de CasaPound sur fond de fascisme, groupuscule d’extrême-droite, différente pas si éloignée de la Jeunesse Nationale de Fratelli d’Italia –, la fréquence de ces épisodes, que Meloni a qualifié hier d’ « inacceptables », frappe. La lettre aux dirigeants du parti dans laquelle la Présidente du Conseil prenait explicitement ses distances des nostalgies fascistes qui refont surface ici et là, et condamnait les épisodes de « folklore » complaisants, date de moins de vingt jours. Ainsi, après avoir pris pendant quelques jours la mesure des effets désastreux, non seulement sur le plan interne, mis également international, de l’enquête publiée par Fanpage, Meloni s’est résolue à intervenir de manière nette, en prenant acte du fait que la question la touchait directement, car les épisodes équivoques sur le fascisme ne concernaient pas seulement les jeunes de Fratelli d'Italia, mais aussi des membres plus matures ; ce n'est pas par hasard que le message a été adressée à tous les dirigeants. L’appel de la Présidente du Conseil était simple et net : un parti qui revêt des responsabilités comme la gestion du gouvernement et de certains ministères clés ne peut se permettre des comportements tels que ceux révélés par les images de Fanpage. Etant donné que Meloni est une leader respectée, ou, plus exactement, à laquelle on obéit, que ce soit dans les décisions importantes comme dans le détail de la vie du parti, on aurait pu s’attendre à un changement de cap immédiat. Pourtant, l’épisode d’hier, bien qu’il concerne CasaPound et non la Jeunesse Nationale ou Fratelli d’Italia, témoigne du fait que le message de la Présidente du Conseil a été considéré comme un passage obligatoire, mais ne remettant pas en cause les sentiments persistants y compris, précisément, la nostalgie fasciste et la violence qui a toujours fait partie du fascisme. En fait, c'est en quelque sorte le contraire qui s'est produit : désormais, c’est comme si certaines manières de faire, dissimulées ou maintenues clandestines, se considéraient comme émancipées du rôle de Fratelli d’Italia : au moins jusqu’à ce que le gouvernement, et non plus seulement le parti, se décide à les considérer comme un problème. »
COMMENTAIRE, La Stampa, d’A. De Angelis, « La Présidente du Conseil prise entre A. Tajani (Forza Italia) et M. Salvini (Ligue) » : « Ce n'est pas un hasard si, ces derniers jours, Antonio Tajani s'est montré particulièrement loquace et a répondu coup sur coup aux propos décousus de Matteo Salvini. Bien sûr, cela a un rapport avec l'Europe, et avec les convictions profondes du ministre ; mais encore plus avec les déclarations d’abord de Marina Berlusconi, puis de Pier Silvio, sur les droits civiques, l'avenir des modérés, la nécessité, tôt ou tard d’un changement et une invitation à oser. Ce raffermissement de l'humble ministre des Affaires étrangères est aussi, d’une certaine manière, l'effet de ce défi lancé par la famille Berlusconi. Après tout, se chamailler avec Salvini a moins d'impact que de se confronter à la vraie question posée par la famille Berlusconi, qui est, en perspective, celle du leadership de Forza Italia. Parce qu'il est clair que, tôt ou tard, la question de la représentation politique des modérés, se posera, si le parti ne veut pas renoncer à se faire interprète de l’Italie pro Europe et productive. Giorgia Meloni aurait tort de sous-estimer à la fois les propos des Berlusconi et les effets qu’elles auront sur Tajani. La Présidente du Conseil est obsédée par l’idée d’être dépassée à droite en Europe, ce qui explique aussi le vote contre Ursula. Néanmoins, prisonnière de ses propres fantômes identitaires, la Présidente du Conseil finit par surestimer Salvini lui-même, car il ne s'agit pas d'un défi de leadership, même dans le cas d'une victoire de Trump, car au-delà de toutes ses provocations, il reste le troisième parti de la coalition, qui a dû compter sur Vannacci pour masquer la perte d'attractivité personnelle. Et Salvini n'a même plus le cheval de bataille de l'immigration, puisque l'accord avec la Tunisie fonctionne au moins comme un blocage des arrivées et des départs. »
ARTICLE, Corriere della Sera, de P. Di Caro, « Les tensions entre la Ligue et Fratelli d’Italia se reportent vers la Chambre ; Fratelli d’Italia les met en garde ‘’arrêtez ou cela deviendra un problème politique » : « Les relations entre la Ligue et Forza Italia sont de plus en plus difficiles après que Salvini et Tajani ont réitérés leurs accusations sur le vote [pour la réélection d’U. von der Leyen]. Le vice-chef de groupe Fratelli d’Italia au Sénat Raffaele Speranzon leur lance un avertissement : ‘’Nous notons une certaine agitation du fait de la campagne pour les européennes. Nous ferons tout notre possible pour qu’il y ait une pleine disponibilité des alliés afin de mettre en oeuvre dans le temps imparti le programme électoral pour lequel nous avons été élus. Nous avons un calendrier de séances plénières très dense et des réformes à mener. Si nous devions nous en écarter, cela deviendrait un problème politique au sein de la coalition’’. Le projet de loi sur le code de la route pourrait constituer un obstacle : bien que cher à Matteo Salvini, le chef de groupe Forza Italia Maurizio Gasparri n’entend pas transiger ‘’Pour les projets de loi, il faut au moins que les amendements que nous demandons soient discutés. […] Nous sommes prêts à réduire leur portée mais nous voulons pouvoir exprimer notre position’’. L’opposition attaque également la coalition au pouvoir : ‘’Nous sommes face à une majorité querelleuse qui affaiblit le rôle de l’Italie en Europe et met en danger des dossiers sensibles, du Plan national de Relance à la prochaine Loi de finances.’’ affirme Chiara Braga, chef du groupe Parti démocrate à la Chambre. Le chef de groupe Frères d’Italie à la Chambre, Tommaso Foti, répond : « Meloni incohérente ? Schlein non plus ne l’a pas été en présentant à Rome en avril un candidat nommé Schmidt, qui devait représenter une alternative à von der Leyen, pour laquelle elle a finalement voté’’. Dernière attaque de Giuseppe Conte, qui, accusé d’avoir également voté contre von der Leyen, répond ‘’je suis un leader de parti, elle est présidente du Conseil italien. Nous n’avons pas les mêmes rôles : qu’elle ne nous attaque pas pour ses propres échecs’’. »
ENTRETIEN, La Stampa, de Maria Elena Boschi, ancienne ministre chargée des réformes constitutionnelles et des relations avec le Parlement et ancienne chef de groupe d’Italia Viva à la Chambre des députés, « Si nous atteignons le quorum nécessaire sur l’autonomie [régionale], la Présidente du Conseil et la majorité pourront rentrer à la maison », par A. di Matteo. « C’est avant tout une bataille juste. L’autonomie [régionale différenciée] met en difficulté le Nord en générant plus de bureaucratie et met en difficulté le Sud en générant plus d’inégalités. Giorgia Meloni risque gros, et qui connaît les règles de la politique sait combien ce référendum peut être décisif pour la majorité. La droite comme la gauche se divise sur les programmes. Avec la fin du Troisième pôle (Italia Viva et Azione, ndt) et notre entrée dans le centre-gauche, les modérés et les [défenseurs de la Constitution] auront un cadre pour rendre plus forte l’aile réformiste de la coalition. Il en va de l’avenir du pays, c’est pourquoi l’idée d’un contrat de coalition et un programme bâti sur les points d’accord, à l’allemande, que Conte lui-même avait proposé par le passé, nous plaît. Pour le futur ce sont les votes, et non les vetos qui comptent. En Ligurie, nous soutiendrons le candidat de la coalition. L’important est que l’on pense à gagner sur la base d’un projet crédible et non contre quelqu’un. Nous porterons dans le centre-gauche les valeurs populaires et libérales-démocrates. Si quelqu’un décide de ne pas jouer ce jeu, tant pis ».
COMMENTAIRE, La Repubblica, d’I. Sales, « Petite grande corruption » : « Les enquêtes pour corruption concernant la mairie de Venise (Coraggio Italia, centre droit) ainsi que le président de la région Ligurie (Cambiamo !, centre droit) remettent au centre du débat la question de la corruption comme méthode de gouvernement et de régulation du marché. Les chercheurs distinguent en général la petite et la grande corruption : c’est en effet une chose de payer pour un certificat ou une autorisation, c’en est une autre de s’accaparer une grosse part d’un marché public. Les affaires de Venise et de Gênes appartiennent à cette catégorie de la grande corruption, mais c’est bien la petite qui est la plus répandue : d’après l’ISTAT, plus d’un 1,2 millions de familles se sont déjà vues demandées de l’argent ou autre en échange d’un service, d’un permis, voire d’un poste. Plus d’un million de personnes se sont déjà vues proposé de l’argent en échange d’un vote. La petite corruption est donc ancrée dans la société, alors que la grande corruption concerne un nombre limité de personnes, essentiellement des entrepreneurs. Et les sommes varient bien sûr : peu élevées pour un permis ou un vote, importantes pour la corruption de grande échelle. Le problème de la grande corruption vient de ce qu’il met en lumières les dysfonctionnements du marché, alors que la petite nous alimente plutôt de la défiance vis-à-vis de l’Etat, celui qui corrompt s’imagine que tous l’ont déjà fait avant lui. La petite corruption ne serait donc qu’une paradoxale justice visant à réparer ce que les clientèles et la corruption d’autres ont fait avant. Ce qui explique sûrement pourquoi 8 millions d’italiens considèrent qu’il est juste de payer pour que ses enfants obtiennent un poste. La politique italienne navigue entre les deux, tandis que les entrepreneurs semblent incapables de distinguer l’intérêt général de leurs intérêts personnels, comme si produire, créer de l’emploi et de la richesse, justifiait tout. Comment en finir ? En interdisant l’emploi de personnes recommandées dans la fonction publique ; en écartant les entrepreneurs pris dans des affaires de corruption. Relégitimer l’Etat est une mission de ceux qui le représentent ; relégitimer la compétition sur les marchés revient aux organisations patronales, qui devraient exclure du marché ceux qui n’en respectent pas les règles. »
ARTICLE, Repubblica, C. Valerio : « Plus de ‘’Madame la maire’’ ou ‘’d’avocate’’, cette proposition de la Ligue qui veut effacer les femmes » : « Manfredi Potenti, sénateur de la Ligue, propose, afin de préserver la langue italienne, d'infliger une amende à ceux qui déclinent au féminin les noms des fonctions dans les actes publics. Préserver une langue ne signifie pas l'empêcher de s’adapter et de muter en fonction des besoins et des volontés de ceux qui la parlent, une langue parlée ne peut être modifiée par la loi, une langue parlée est comme un être vivant qui, s'il veut se déplacer, se déplace, même au risque de ne pas atteindre sa destination. Si toutes les femmes qui exercent la fonction de maire veulent être appelées ‘Madame la maire’ et l'inscrivent sur la signature qu'elles apposent sur les actes publics, ce sera ainsi. Si toutes les femmes qui exercent la profession d'avocat veulent s'appeler avocates, elles seront avocates. Il y a des coutumes qui sont plus fortes que les lois et les décrets. L'idée de vouloir arrêter un mot ou un être humain par la loi est une indication donne la mesure d’une pensée conservatrice. C’est-à-dire vouloir que les choses restent exactement comme la tradition nous les a transmises. Sauf que la seule tradition qui existe, c'est l'avenir. »
ARTICLE, Corriere della Sera, de F. Dragosei, « Les réactions en Europe, entre reconnaissance et prudence ; pour la Russie, désormais, le jeu est moins facile » : « Dans la plupart des capitales mondiales, presque personne n’ose prendre ouvertement position face à un duel aussi incertain. En Italie, aussi bien le ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani que son collègue de la Défense Guido Crosetto (Frères d’Italie) préfèrent rappeler la ‘’grande amitié qui lie depuis toujours l’Italie et les Etats-Unis’’. Tajani ajoute : ‘’Il ne nous appartient pas de nous immiscer dans la campagne électorale des Etats-Unis, quel que soit le prochain président des Etats-Unis, nous travaillerons bien avec lui’’. Le Premier ministre britannique Keir Starmer souligne que Biden a fait un choix ‘’à respecter, dans l’intérêt du peuple américain’’. Le Premier ministre polonais Donald Tusk le remercie pour avoir ‘’pris beaucoup de décisions difficiles grâce auxquelles la Pologne, l’Amérique et le monde sont plus sûrs et la démocratie plus forte’’. Réactions également d’Olaf Scholz : ‘’La coopération transatlantique et l’OTAN sont solides et les Etats-Unis sont un bon allié fiable. Le choix de ne pas se représenter mérite du respect’’ et de Justin Trudeau : ‘’Je connais Biden depuis des années, c’est un grand homme et chaque chose qu’il fait est dictée par l’amour de son pays’’. Des déclarations irritées laissent en revanche paraitre une certaine déception de Moscou pour qui une bataille électorale « acquise » s’éloigne. Certains, comme le prédisent de la Douma [Chambre basse russe] Viatcheslav Volodin, soutiennent l’idée que Biden devrait être ‘’appelé à répondre’’ de son bilan à la Maison Blanche. Dans les bureaux du Kremlin, on préfère pour l’instant tenir une ligne « soft », en attendant peut-être que le chef fasse entendre son avis. »
(Traduction : ambassade de France à Rome)
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