"Une tragédie près de Crotone. Le gouvernement Meloni s’en prend à l’Europe."
27/02/2023
Italie. Revue de presse.
Le naufrage meurtrier près des côtes de Crotone (Calabre) ayant causé la mort d’une soixantaine de migrants, dont une quinzaine d’enfants, fait les gros titres de la presse italienne, avec large couverture photographique en Une. « La barque se brise à cent mètres des côtes, le drame des migrants » (Corriere della Sera), « Le massacre de femmes et d’enfants » (La Repubblica), « Le massacre des innocents » - Une tragédie près de Crotone. Le gouvernement Meloni s’en prend à l’Europe (La Stampa), « La tragédie du désespoir » (Il Messaggero).
L’élection de la nouvelle dirigeante du Parti démocrate, Elly Schlein est aussi largement citée en Une : « Une surprise qui s’appelle Elly » - Le Centre, le Nord et les grandes villes priment Mme Schlein. Pour la première fois, une femme est élue à la tête du PD. Un million trois cent mille électeurs se sont rendus aux urnes [de la primaire ouverte]. Une nouvelle ère s’ouvre en Italie (La Repubblica), « Surprise au sein du PD, Schlein l’emporte » (Corriere della Sera), « L’avalanche Schlein, le PD tourne une page » (La Stampa), « Au PD, les électeurs votent contre l’intelligentsia du parti : Schlein devance Bonaccini » (Fatto Quotidiano).
Les JT couvrent essentiellement le naufrage de migrants devant les côtes calabraises, et les réactions politiques, l’élection d’Elly Schlein à la direction du PD, et l’intensification de la bataille à Bakhmut, en Ukraine.
Sur Twitter, aucun sujet majeur ne semble s’imposer. A signaler toutefois le hashtag #AddioPD (adieu PD), en référence à la défaite de l’aile réformiste du parti démocrate, qui commence à faire tendance.
COULISSES, La Stampa, de F. Olivo, « Le gouvernement poursuit sur sa lancée » : « La tragédie survenue hier sur les côtes calabraises ne change pas le choix du gouvernement en matière d’immigration. Au contraire, la droite insiste sur la défense des frontières afin d’éviter des événements de ce type. Meloni tente de couper court aux polémiques soulevées par les oppositions autour du nouveau décret ‘’ONG’’ régulant les missions de sauvetage en mer. Dans un communiqué elle les accuse de ‘’spéculer sur ces morts, après avoir exalté l’illusion d’une immigration dérégulée’’. Giorgia Meloni y réaffirme également la stratégie de son exécutif : ‘’empêcher les départs’’ notamment en ‘’exigeant la collaboration maximale de tous les Etats de départ et de provenance’’. La réaction de la Présidente de la Commission européenne est nouvelle aussi bien sur le fond que sur la forme et donne de l’espoir à l’exécutif qui demande davantage de soutien de l’UE en la matière. Le ministre italien de l’Intérieur, qui s’est rendu sur le lieu du drame, réaffirme le mot d’ordre du gouvernement ‘’il faut empêcher les départ’’. Les ministres les plus importants sont très clairs, d’Antonio Tajani (Forza Italia) à Guido Crosetto (Frères d’Italie), en passant justement par Piantedosi (Indépendant). Antonio Tajani, ministre des Affaires étrangères, fixe un rendez-vous pour impliquer tous les pays européens : ‘’la question doit être inscrite à l’ordre du jour des prochains conseils des ministres de l’Intérieur et des affaires étrangères’’. Pour le vice-président du Conseil, ces questions “ne doivent pas concerner que les pays du sud de l’Europe mais l’ensemble de l’Union, il faut des investissements, une stratégie commune, nous avons demandé une plus grande implication de Frontex’’. Au cours des derniers mois, le ministre d’est rendu en Egypte, en Tunisie ou encore en Libye et, avec le ministre de l’Intérieur, ils se rendront prochainement en Turquie d’où était parti le navire ayant fait naufrage hier. Tajani affirme qu’au gouvernement ‘’personne n’a fait la guerre aux ONG, nous avons introduit des règles, si elles se donnent rendez-vous avec les passeurs, ce n’est plus du sauvetage mais de la complicité avec le trafic d’êtres humains’’. Matteo Salvini écrit sur les réseaux ‘’arrêter les trafiquants d’êtres humains est un devoir moral de tout un chacun’’. Guido Corsetto appelle l’Europe à ‘’faire entendre sa voix, de concert, entre Etats et institutions pour se battre pour la paix’’. Pour le ministre de la Défense, il faut ‘’investir dans la croissance des pays les plus pauvres, tout en offrant des possibilités d’asile et d’entrée structurées et contrôlées à travers des accords avec les pays de départ de l’immigration illégale’’. Le Président de la Région Calabre regrette ‘’l’indifférence générale’’ alors que sa région a ‘’accueilli 18 000 migrants au cours de la dernière année’’ et en appelle lui aussi à une réponse à l’échelle européenne. »
PREMIER PLAN, Corriere della Sera, de F. Caccia, « Le rappel à l’ordre de Mattarella à l’Europe ; ‘’il faut mettre fin aux départs et aux tragédies’’ dit Meloni » : « Face à l’énormité de la tragédie de Cutro [en Calabre], ‘’qui ne peut laisser personne indifférent’’, l’Europe devra apporter une réponse prévient le Président de la République italienne. L’appel du Chef de l’Etat est fort et précis : ‘’l’UE doit enfin prendre concrètement ses responsabilités afin de gouverner le phénomène migratoire et le soustraire aux passeurs à travers une implication directe dans les politiques migratoires, le soutien à la coopération pour le développement des pays dont les jeunes sont contraints de s’éloigner par manque de perspectives’’. Nombre des naufragés d’hier arrivaient d’Afghanistan ou d’Iran. Si Bruxelles exprime également sa douleur suite à la tragédie, l’accord des dirigeants européens sur une gestion commune semble loin. ‘’Tous ensemble, nous devons redoubler d’effort en vue du Pacte sur l’immigration et l’asile et pour le Plan d’action sur la Méditerranée centrale’’. Charles Michel évoque lui aussi la ‘’nécessité de trouver des solutions praticables pour gérer les flux migratoires et combattre le trafic des migrants’’. Des mots qui risquent toutefois de se perdre parmi le reste. D’où l’intervention ferme du Président Sergio Mattarella qui en appelle à la ‘’communauté internationale’’ afin de conjurer les causes à la base des flux et une action concrète. Le Palais Chigi réaffirme la ligne du gouvernement visant à ‘’empêcher les départs’’ et condamne la ‘’spéculation’’ des oppositions. On assiste en effet à nouveau à une dure confrontation avec le centre-gauche autour du décret ONG. “Il faut faire en sorte que tous ceux qui peuvent empêcher ces tragédies en mer puissent le faire’’ déclare le secrétaire sortant du Parti démocrate, Enrico Letta. Matteo Renzi renchérit ‘’ce sont les trafiquants d’êtres humains qui doivent être arrêtés, pas les ONG et les volontaires qui tentent de sauver des vis’’. Carlo Calenda appelle à ce que ‘’les personnes en mer soient sauvées à tous prix, sans criminaliser ceux qui tentent de porter secours’’. Même le leader du M5S appelle à en finir avec ‘’les slogans’’. Mais pour le ministre Antoni Tajani, ‘’le naufrage d’hier n’a aucun rapport avec les ONG’’ auxquelles ‘’personne ne fait la guerre’’ dit-il pour couper court aux polémiques. »
EDITORIAL, La Repubblica, d’Ezio Mauro, « L’inversion culturelle » : « La critique par le ministre de l’Education (Ligue) adressée à une proviseure qui a rappelé à ses élèves, après une agression d’un groupuscule de droite devant son lycée, que le fascisme est né et a grandi dans la violence des expéditions punitives, est un geste incompréhensible, illogique, et pourtant révélateur. Ce que le ministre de l’éducation révèle, c’est cette tendance à redéfinir du profil culturel de cette droite extrême, qui tente de désamorcer tout élément d’antifascisme sur le chemin du gouvernement. Avec son obstination à nier tout jugement sur la dictature mussolinienne, sur sa nature et sur ses effets, Giorgia Meloni a déjà obtenu le résultat escompté, et qui a joué aussi dans son accession à la Présidence du Conseil : une inversion culturelle. Le pays passe ainsi de l’antifascisme comme culture de référence pour la République et sa Constitution, à une sorte d’anti-antifascisme. Le sceau de l’Etat porte ainsi à terme une opération intellectuelle engagée depuis deux décennies visant à banaliser le récit de la double-décennie fasciste. Le revers de ce réductionnisme historique est évidemment le rejet de l’antifascisme réduit à une pure construction idéologique instrumentalisée par le Parti Communiste italien, quitte à oblitérer la rébellion face à la dictature et à l’occupation nazie, élément pourtant constitutif de la démocratie reconquise. Il y a un lien évident entre la Résistance, la Libération, la République, la Constitution et les institutions démocratiques qui sont nées de ce processus. Se dire aujourd’hui fidèle à la Constitution sans partager cette cohérence historique et culturelle est donc une affirmation vide. Il en résulte une neutralisation de l’histoire, officiellement dépolitisée, niant ses enseignements pour construire un nouvel ordre républicain où toutes les cultures politiques sont à nouveau admises, sans la marque de la culpabilité. La nouvelle droite au pouvoir n’a ni le besoin ni l’intention de se souvenir explicitement du fascisme et à l’exhumer. L’objectif est plutôt de séparer le concept de fascisme du sens commun qui le condamne, de le laver de tout jugement le condamnant au cœur de la traduction nationale, qu’il soit pardonné sans avoir été jugé et finalement innocenté. L’élection de Giorgia Meloni, avec la portée du vote populaire, a à la fois récompensé et effacé, à la fois hypothéqué l’avenir et réécrit le passé. Le consensus exprimé par ce vote a déjà absout le fascisme, le choix sacré du peuple a effacé le péché contre l’Italie. C’est pourquoi toute discussion est désormais inutile, toute discussion est impropre, tout jugement est déplacé. Mais tout ceci n’est pas une amnistie du passé, c’est la fondation d’une nouvelle pensée politique tournée vers le futur. Giorgia Meloni a compris que le véritable défi avec la gauche est celui de l’hégémonie des idées, pour une offre culturelle de sortie de crise dans laquelle l’Italie pourrait se reconnaitre. La nouvelle droite est déjà en train de mener cette bataille. L’école sera son terrain d’action privilégié en vue d’implanter la nouvelle histoire dans la nouvelle génération. Dans ce contexte, le retard de la gauche est dramatique, alors qu’elle choisit encore son leader, elle n’a pas encore choisi sa vision pour le pays. »
ENTRETIEN, Il Messaggero, de Francesco Lollobrigida, ministre de l’Agriculture et membre de Fratelli d’Italia, « Arrêtons la violence politique, il faut des sanctions plus sévères » : « [Au sujet de l’agression de lycéens à Florence par des jeunes d’extrême-droite]. Gardant en mémoire les événements tragiques des années 60 et 70, le gouvernement ne justifiera en aucun cas les actes de violence politique, d’où qu’ils viennent. Pour tenter d’endiguer ces phénomènes, le Parlement pourrait aggraver la peine encourue pour les agressions de jeunes ou des suspensions plus longues pour les récidivistes. Au côté des autres pays occidentaux, l’Italie a pour objectif la fin du conflit en Ukraine et l’instauration d’une paix juste qui implique du peuple ukrainien afin qu’il s’autodétermine comme tel. Sur le voyage de Giorgia Meloni à Kiev, il y a eu beaucoup de spéculations et de commentaires, mais le vote de la majorité a toujours été compact sur le soutien. J’ai dialogué avec mon homologue ukrainien au sujet de l’agriculture, et rappelé la nécessité de garantir les exportations et la modernisation du système agricole. Au sujet des routes de la Soie, nous agirons de manière prudente, contrairement à ce qui a été fait par le passé sous le gouvernement Conte. La Chine représente un partenaire commercial important mais elle a aussi un système très différent sur le respect des droits des travailleurs, ou sur le conflit en Ukraine, sur le climat et sur l’Afrique. Il faudra donc agir de manière coordonnée avec les États européens, les Etats-Unis, les pays de l’OTAN, car une alliance est une alliance, et pas que militaire. Un diplomate américain m’a dit qu’avant il ne parlait qu’avec la France et l’Allemagne, mais à présent sur les grandes questions, il y a aussi nous. Il faut aussi nous réapproprier notre rôle dans la zone Méditerranée. Il faut bloquer l’immigration irrégulière et œuvrer au développement et à la sécurité des Etats africains. Le 1er mars aura lieu une discussion entre Meloni et plusieurs ministres pour évaluer la nécessité de nommer un commissaire afin de gérer la crise de la sècheresse. Enfin, concernant les prochaines élections européennes, FdI cherche le soutien de toutes les forces politiques mais, conformément à notre programme, l’absence de soutien ne nous empêchera pas d’avancer. »
COMMENTAIRE, Corriere della Sera, R. Gressi « Un « séisme » venant des urnes qui divise le Parti démocrate » : « C’est un véritable séisme. Les élections ouvertes réalisées dans des stands des différentes villes vont contre les préférences exprimées par les adhérents du parti, laissant Stefano Bonaccini à son score initial et livrant le parti à Elly Schlein. Il s’agit de l’« outsider » qui s’est inscrite au parti pour se porter candidate à la direction. Un pari jugé hasardeux par la plupart. C’est aussi un résultat marqué par une forte participation au vote, supérieur aux attentes et qui détermine un changement de ligne ainsi qu’une faille dans la principale force politique de l’opposition. Les primaires sont-elles un système irremplaçable de démocratie ou bien représentent-elles un piège qui transforme le PD en parti à la portée de tous ? L’inquiétude monte et les hypothèses d’une scission émergent à nouveau, avec un courant réformiste désormais isolé. Le PD risque de perdre son ambition majoritaire des origines alors qu’il visait à unir les différentes tendances de la société. C’est désormais un chemin difficile sur lequel Elly Schlein et le PD vont s’engager. Les élections européennes, avec un système proportionnel, représenteront son premier test électoral. Elles nous diront aussi quel est le vrai poids de chaque parti politique. Les choix politiques, et notamment son rapport avec le gouvernement, seront le vrai banc d’essai. Schlein n’hésitera pas à jouer la carte « femme contre femme » dans son défi lancé à Meloni. Sa direction misera sur un PD plus à gauche : la lutte contre la précarité et les CDD, la défense du revenu de citoyenneté, un changement de politique à l’égard des migrants, le droit du sol, l’opposition aux accords avec la Libye, et la légalisation du cannabis. Ce sont là des idées qui font de Schlein une concurrente plus proche des 5 Etoiles et qui marquent un éloignement significatif du programme de Calenda et Renzi. Mais c’est aussi dans la politique internationale qu’il y aura une rupture par rapport au passé. Si Schlein n’est certainement pas pro-Poutine, elle ne partage pas l’idée que continuer à fournir l’Ukraine en armes soit la meilleure des solutions pour arriver à la paix. Il ne s’agit pas, à ce stade, d’un véritable changement de cap ni d’une question purement anodine, au vu aussi de la pression des sondages qui montrent un pays de plus en plus fatigué par la guerre. Quoi qu’il en soit, c’est un gros changement de nature et d’identité qui se profile pour le PD. »
COMMENTAIRE, La Repubblica, S. Folli « L’énigme Ukraine pour le nouveau PD » : « La victoire d’Elly Schlein change l’histoire du PD et peut-être aussi l’histoire du centre gauche. C’est un succès sans précédent qui suscite des questions tout-à-fait naturelles sur plusieurs aspects, dont aussi la politique internationale : la guerre en Ukraine, l’Alliance Atlantique et ses stratégies. Jusque-là, les propos de Mme Schlein avaient été plutôt vagues afin de garder des marges de manœuvre. Son prédécesseur, Enrico Letta, a toujours été ferme dans le soutien à Kiev, en suivant la ligne de Mario Draghi pour un atlantisme sans exagération mais fondé sur la loyauté politique et militaire. A vrai dire, Schlein apparait bien plus proche de la vision de Giuseppe Conte que de celle de Mario Draghi. La politique étrangère est un dossier trop délicat pour qu’elle demeure une simple affaire de tactique électorale. Que fera la jeune gagnante ? Va-t-elle confirmer les engagements que n’importe quel gouvernement, de droite ou de gauche, est tenu d’honorer pour ne pas pousser l’Italie aux marges du système d’alliances ? Ou bien va-t-elle l’affronter sous le prisme de la politique interne et chercher la voie de la rivalité ou de l’apaisement avec le M5S ? Jusque-là, Letta avait réussi à empêcher que Meloni soit la seule bénéficiaire des divisions de la gauche dans un domaine – la politique étrangère dans un contexte de guerre – dans lequel on a traditionnellement une certaine convergence parlementaire entre la majorité et l’opposition. La logique pousserait à croire qu’il s’agit d’un passage obligé pour le radicalisme maximaliste de la gagnante, qui est entourée par des personnalités du vieux PCI/PDS habituées au jeu politique. Si au contraire les poussées radicales devaient l’emporter, dans l’optique de vouloir se frayer un chemin ou de tenter une entente rapide avec les 5 Etoiles, le scénario serait imprévisible. Le risque serait d’offrir à la dirigeante de droite la primauté de la position « atlantiste », de la loyauté aux alliances non seulement à l’égard de l’Ukraine mais aussi de la Chine. »
(Traduction : ambassade de France à Rome)
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