"Le ministre léguiste Valditara menace la proviseure pour avoir condamné les violences à Florence comme prémisses d’une dictature."
24/02/2023
Italie. Revue de presse.
La presse italienne titre largement sur la résolution de l’ONU appelant à une paix juste et durable, la veille du premier anniversaire de l’invasion russe en Ukraine. « L’ONU vote pour le retrait de Moscou » - La résolution contre l’invasion russe passe avec 141 voix. L’Inde et la Chine se sont abstenues (Corriere della Sera, Repubblica), « L’ONU demande le retrait des Russes » (La Stampa), « Un an d’horreurs » (Il Messaggero), « Un an sans paix » (Avvenire), « Après un an de guerre en Ukraine, l’élargissement du conflit est plus facile que la paix » (Il Giornale).
La polémique autour du ministre de l’Instruction G. Valditara (Ligue), qui a critiqué l’initiative de la proviseure du lycée de Florence. Cette dernière a en effet adressé une lettre à ses étudiants pour condamner une agression à l’extérieur de son lycée de la part de jeunes d’extrême droite est aussi citée « « L’antifascisme est interdit » » - Le léguiste Valditara menace la proviseure pour avoir condamné les violences à Florence comme prémisses d’une dictature. Fdi et la Ligue soutiennent le ministre, les oppositions s’insurgent (La Repubblica), « Valditara attaque la proviseure antifasciste » (La Stampa).
Giuseppe Valditara
ARTICLE, La Repubblica, M. Basile « L’ONU condamne Poutine. Les regards sont maintenant tournés vers la Chine et son plan de paix » : « L’ONU adopte avec 141 voix favorables une résolution pour une « paix juste » en Ukraine. Sept pays ont voté contre, sous l’égide de la Russie : la Biélorussie, la Corée du Nord, la Syrie, l’Erythrée, le Nicaragua et pour la première fois le Mali, où le gouvernement s’appuie sur le groupe Wagner. Parmi ceux qui s’abstiennent, 32 au total, figurent la Chine et l’Inde. Le ministre Tajani a salué un ‘’ grand succès’’. Si cette résolution ‘’restera dans l’histoire’’ - comme l’avaient dit les Etats-Unis la veille, des pans d’ombre demeurent, après deux jours de bras-de-fer et un climat, hors de l’ONU, envenimé par des accusations croisées. Le climat est tendu, en attendant de connaitre le plan de paix en douze volets annoncé par la Chine, qui devrait être dévoilé aujourd’hui par Xi Jinping. Sur le front des efforts de paix, le ministre des Affaires étrangères suisse Ignazio Cassis a révélé qu’il y aurait à Genève des rencontres secrètes, pas forcément entre chefs d’Etat et de gouvernement, visant surtout à permettre la reprise des activités économiques dans les zones impliquées dès la fin de la guerre. »
ARTICLE, Corriere della Sera, P. Valentino « Les entretiens secrets à Genève sont un rituel de la diplomatie » : « Comme nous l’expliquait l’ancien ambassadeur Sergio Romano, ‘’la diplomatie a toujours vécu dans le secret et elle était efficace justement car elle travaillait en secret et dans la confidentialité’’. Depuis quelques temps, toutefois, en raison notamment des réseaux sociaux et de la boulimie médiatique à laquelle les personnalités politiques sont en proie, la discrétion et la retenue sont de plus en plus rares. Le ministre des Affaires étrangères suisse a révélé au quotidien Le Temps, des pourparlers qui seraient en cours à Genève sur la guerre en Ukraine. Cassis a rappelé que Kiev avait demandé à la Fédération helvétique de représenter les intérêts de ses citoyens en Russie. Moscou a refusé les bons offices de Berne, l’accusant d’avoir perdu sa neutralité. Cassis affirme toutefois que ‘’ la Russie est, néanmoins, en train de nous traiter comme si nous étions un pays neutre’’. Cassis n’ajoute rien de spécifique et ne se leurre pas ‘’A moins d’un miracle, je vois difficilement la possibilité d’une paix à court terme’’. Il y a cependant deux points à retenir. Premièrement, il faut aider l’Ukraine tant que cela sera nécessaire, pour l’aider à résister et à repousser l’agresseur. C’est la condition pour lui permettre de négocier dans une position de force. Deuxièmement, cette guerre ne pourra se terminer que par une phase de négociation, pour laquelle il faudra beaucoup de diplomatie. Et la discrétion ne pourra être que bénéfique. »
SONDAGES, Corriere della Sera, de C. Zapperi, « Un Italien sur deux ne prend pas partie, mais seulement 7% dit soutenir Moscou. Le non à l’envoi d’armes l’emporte » : « D’après un sondage IPSOS réalisé entre les 21 et 23 février, le conflit en Ukraine inquiète les Italiens qui se préoccupent avant tout des retombées économiques (49%), plus que des conséquences humanitaires (14%). La crainte d’un conflit mondial augmente également. La sympathie envers le pays de Zelensky est en nette baisse, mais sans pour autant favoriser son adversaire. En effet, la balance penche tout de même nettement en faveur de l’Ukraine : 47% de soutien contre 7% pour la Russie. C’est la part de ceux qui ne prennent pas partie qui augmente (de 38% à 46%). En revanche, le jugement négatif quant à l’envoi d’armes se confirme avec 34% d’Italiens favorables et 45% contre. Les électeurs de la Ligue, du Mouvement 5 Etoiles et de Fratelli d’Italia sont ceux qui s’opposent davantage sur la question des armements. A l’inverse, les partisans des livraisons d’armes prévalent parmi l’électorat de Forza Italia, du Parti démocrate et du Troisième pôle. On note donc que la Présidente du Conseil, en réaffirmant aussi clairement son soutien à l’Ukraine ‘’défie’’ une partie de son électorat et il sera intéressant de voir si elle en paiera les conséquences. »
EDITORIAL, Corriere della Sera, A. Politi « L’anti-américanisme et ces hostilités anciennes » : « Rien de ce qui est en train de se passer en Ukraine explique la défiance croissante entre l’opinion publique italienne et celle des autres pays européens. Ni l’habitude à l’horreur, ni la gêne croissante pour l’exposition médiatique de Zelensky ne suffisent à expliquer le nombre élevé d’Italiens qui souhaiteraient suspendre les aides militaires à l’Ukraine (une majorité relative) ou qui préféreraient un fléchissement, un accord quel qu’il soit, au risque d’être injuste ou de pénaliser le pays agressé (une minorité pourtant importante). Ce désenchantement ne vient pas de la diplomatie ou de la politique, mais découle plutôt des valeurs et du contexte culturel, de l’histoire des Italiens. C’est un phénomène qu’il ne faut pas sous-estimer. Cela peut pousser des personnalités politiques avec une histoire ou une provenance culturelle différentes, comme Berlusconi, à l’exploiter politiquement à des fins électorales, tout en rendant hommage à son ami Poutine. Il existe en Italie deux type se pacifisme : un pacifisme actif – qui pousse à la mobilisation pour obtenir la fin de la guerre et, dans ses formes les plus utopiques, la fin de toutes les guerres – et un pacifisme passif. Soit une grande majorité des Italiens craignant que le conflit ait des conséquences sur nous et pas seulement à travers la hausse des factures ou des cyberattaques. En Italie, une partie importante de l’opinion publique a hérité de la culture catholique et communiste une posture morale anticapitaliste qui s’oppose à l’individualisme de l’ « american way of life ». Cela explique une certaine intolérance face à la modernisation et au capitalisme, que ce soit à l’extrême droite comme à l’extrême gauche. C’est donc ce système de valeurs, et donc pas une approche rationnelle des faits, qui pousse une partie des Italiens à préférer le ‘’monde russe’’ par rapport au monde américain. Poutine en est conscient et ce n’est pas un hasard si dans son discours à la nation il a parlé presque exclusivement des Etats-Unis, et de l’Italie, qui dans ses plans devrait représenter ce maillon faible de l’Europe, pouvant céder comme la Hongrie. Cette tendance à vouloir abandonner l’Ukraine à son destin est vouée à grandir dans les prochains moins : cela coïncide, en effet, avec la prise de position encore plus nette de Washington dans le conflit. »
ENTRETIEN, La Stampa, d’Edith Bruck, écrivaine d’origine hongroise, rescapée de la Shoah et du camp d’Auschwitz, « Une tentative d’intimidation honteuse de la part de la droite qui justifie le fascisme » : « La lettre de la proviseure [d’un lycée florentin suite au passage à tabac d’élèves de l’établissement par des membres d’une organisation fasciste étudiante] était une tentative juste d’offrir aux élèves une lecture des événements. La réaction du ministre est honteuse. Je ne sais pas si les mots de cette proviseure parviendront à faire brèche auprès de ces jeunes, qui connaissent malheureusement peu et mal l’histoire, mais elle a eu raison d’écrire cette lettre. Il faut leur montrer ce qu’a été véritablement le fascisme, à travers un langage direct et efficace. J’ai des frissons en voyant les images de ces étudiants néofascistes brûlant la lettre, c’est un geste gravissime. J’adhère pleinement à l’appel à ne pas détourner le regard, à ne pas rester indifférent, cela vaut aussi pour les membres du gouvernement et ceux qui ont gardé le silence après les faits au lieu de les condamner clairement. Il y a une minimisation délibérée, une volonté politique précise de nier que le fascisme est encore présent dans notre société. On assiste à des comportements fascistes tous les jours. Or, encore plus sous ce gouvernement, il y a un sentiment d’impunité, de pouvoir agir sans crainte des conséquences alors qu’il s’agit d’actes gravissimes qui vont contre la Constitution italienne. Parler de dérive fasciste n’a rien de ‘’ridicule’’ contrairement à ce que soutient le ministre de l’Education. Sa menace de ‘’prendre des mesures’’ contre la proviseure en question est honteuse, mais je comprends qu’il la voit comme un danger si elle enseigne l’histoire à ses élèves et les encourage à développer une conscience politique. Il faut lutter contre ce négationnisme latent, la perte des idéaux dans un contexte de chaos politique auquel la gauche aussi, plus faible et divisée que jamais, a contribué. Ils ont laissé le gouvernement le plus à droite que l’Italie n’ait jamais connu prendre le pouvoir et ne parviennent pas à construire l’opposition. J’espère que le Président Mattarella restera en poste le plus longtemps possible car sans lui la situation serait encore pire. »
ARTICLE, Sole 24 Ore, de L. Cavestri, « Tribunal des brevets à Milan, l’attaque de la France et de l’Allemagne » : « Le bras de fer porte sur la répartition des compétences entre les trois siège de la juridiction internationale unifiée sur les brevets. Une négociation est en cours (et pour le moment à l’arrêt) pour que l’une des trois cours centrales de cette nouvelle juridiction soit installée à Milan, les deux autres se trouvant à Paris et à Munich. D’un côté il y a l’Italie, qui a toutes les cartes en règles et une candidature déposée depuis longtemps pour accueillir à Milan le siège de la nouvelle juridiction internationale en matière de brevets et de propriété intellectuelle, qui, pour la première fois, prononcera des sentences reconnues par tous les pays européens. De l’autre côté il y a la France et l’Allemagne qui avaient récupéré les compétences de ce troisième siège, initialement situé à Londres avant le Brexit, et qui entendent désormais les conserver. Ce n’est pas une question purement technique ou d’égoïsme, il s’agit d’un enjeu économique. L’accueil de la juridiction rapporterait en effet plus de 300 millions d’euros par an, notamment grâce à la gestion des contentieux du secteur chimico-pharmaceutique, où il s’agit souvent de très grosses sommes. Or à la mi-février la France et l’Allemagne ont proposé à l’Italie le transfert du troisième siège tout en maintenant la gestion des domaines métallurgique et en grande partie pharmaceutique à Munich et Paris. Les brevets médicaux qui reviendraient à Milan seraient peu nombreux et moins intéressants d’un point de vue économique. Pour l’Italie, c’est hors de question, mais elle tente de trouver un autre accord en récupérant en grande partie le domaine chimico-pharmaceutique. Le dossier est géré par les ministres des Affaires étrangères, des Entreprises et du Made in Italy, et de la Justice. Ce dernier, Carlo Nordio (Frères d'Italie), a écrit hier à ses homologues français et allemand afin de plaider la cause italienne. Au-delà de la répartition finale des différents domaines entre les trois pays, l’affaire pose des questions à la fois technico-légale et d’opportunité politique et économique. Une fois établi que ce troisième siège ne pouvait pas rester à Londres suite au Brexit, rien ne légitimait pour autant une redistribution des compétences initialement prévues. D’ailleurs, le traité avait été accepté en l’état par l’ensemble des 27. L’Italie fait face à des difficultés à dialoguer au sein de l’UE, en particulier avec la France. Si le tribunal, dont les coûts de fonctionnement reviennent au pays hôte, venait à être vidé de ces compétences et les gains réduits, l’investissement pourrait ne pas être rentable. »
Carlo Nordio
(Traduction : ambassade de France à Rome)
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