"La Ligue, parti observé avec attention par le gouvernement."
19/02/2021
Italie. Revue de presse.
Le vote à la Chambre des Députés accordant largement la confiance au nouveau gouvernement Draghi (535 voix pour, 56 contre et 5 abstenus), et qui donne officiellement vie au nouvel exécutif, fait les gros titres des médias italiens. Les observateurs relèvent d’une part les nouvelles thématiques (tourisme et justice) citées par le Président du Conseil parmi les réformes envisagées lors du discours à la Chambre, et l’énième rupture au sein du M5S, 30 ‘’rebelles’’ ayant voté contre, en ne suivant pas la ligne du Mouvement : « Confiance à Draghi, les 5 Etoiles implosent » (Corriere della Sera), « Vaccins, Draghi accélère » - Plus de doses et de centres de vaccination pour sauver le tourisme (La Repubblica), « Draghi, le modèle de Gênes pour le Plan de Relance » - Une simplification des chantiers à l’étude. Débuts de Draghi au G7 (La Stampa), « Draghi, accélération des processus de décision » (Sole 24 Ore), « Les 5 Etoiles font la chasse à ceux qui sont fidèles…aux 5 étoiles » - Ceux qui s’allient avec Salvini et Renzi évincent les autres, qui se rebellent (Fatto Quotidiano), « Les 5 Etoiles en chute libre » - Le Mouvement n’existe plus, c’est la scission (Il Giornale), « Draghi obtient à nouveau la confiance et commence sa course » - 31 rebelles risquent l’éviction du M5S, la composante de centre droit déterminante au Sénat (Avvenire).
PREMIER PLAN, La Repubblica, de T. Ciriaco « Vaccins, Draghi accélère » : « L’idée est de vacciner la moitié des Italiens d’ici l’été afin de sauver le secteur touristique, pour obtenir ainsi des bénéfices directs sur le PIB. Cela représente 25 millions de personnes pour juillet, soit 300 000 vaccinations par jour. Alors que le gouvernement étudie la faisabilité de ce plan dans les temps, 92 sites de l’armée ont déjà été identifiés. 170 centres de tests pourraient également être reconvertis pour la vaccination de masse. De petites équipes itinérantes pourraient également être constituées afin de vacciner dans les zones les plus isolées et Roberto Speranza travaille à un accord avec les médecins traitants qui seraient mobilisés pour l’injection du vaccin mono-dose de Johnson&Johnson. Ce vaccin devrait être distribué en Italie à partir du 15 mars, après validation de l’EMA et de l’Aifa, et 7,315 de doses uniques devraient être fournies, puis 5 millions supplémentaires en juillet. Ce serait décisif pour engager l’accélération nécessaire. Mario Draghi exploite toutes les ressources disponibles afin d’esquisser un été sûr et productif. Il travaille afin de s’assurer à l’avance les doses déjà prévues par les accords annuels avec les multinationales autorisées. Draghi tisse déjà sa toile diplomatique et aujourd’hui il s’entretiendra avec Boris Johnson, Emmanuel Macron, Angela Merkel et Ursula don der Leyen. Les principaux dirigeants européens font pression sur la Commission afin que soit autorisé le conditionnement dans les Pays membres. »
COMMENTAIRE, La Stampa, de M. Sorgi « Le pari sur la justice » : « A part les priorités telles que les vaccinations et l’économie, Draghi a l’intention d’entamer à court terme trois autres réformes : la fiscalité, pour favoriser la reprise de la consommation par la classe moyenne ; l’administration, par le biais d’une digitalisation rapide et réelle, et la justice. Notamment la justice civile et sa lenteur inexplicable qui décourage les entrepreneurs étrangers. Quant aux autres métamorphoses qui concernent les partis politiques au Parlement, nous avons assisté tout d’abord à l’implosion du M5S. Cette fois-ci le couperet est tombé rapidement, par la voie d’une publication du fondateur B. Grillo expliquant qu’il n’y avait pas de place au sein du M5S pour ceux qui rejettent la décision de soutenir Draghi. L’autre changement a été constaté chez Fratelli d’Italia, notamment chez sa dirigeante Giorgia Meloni. En prenant la parole hier à la Chambre, elle a abandonné l’approche menée jusque-là se basant sur une opposition indignée, pour simplement dire ‘’non’’ clair au gouvernement. Un ‘’non’’ prononcé en tant que présidente du groupe des conservateurs à Strasbourg et partisane d’une Europe des nations, et en tant qu’Italienne qui espère que, malgré tout, l’Italie parvienne à s’en sortir. Le ton de la seule dirigeante restée adversaire du gouvernement a changé. Cette nouveauté est réelle et il faudra voir ensuite les retombées. »
COULISSES, Corriere della Sera, M. A. Polito « Draghi demande à ses ministres des conseils sur les rites institutionnels » : « La première apparition de Mario Draghi au Parlement n’aura pas servi uniquement à obtenir la confiance : cela a été aussi l’occasion d’une formation accélérée sur les rites du pouvoir. Une fois son discours terminé, il était sur le point de s’éclipser. C’est le ministre F. Cirinnà qui s’en aperçoit et le saisit par la veste. Un geste qui est passé presque inaperçu. ‘’Président, vous devez rester dans l’hémicycle. Il faut attendre toutes les déclarations de vote’’. Ensuite, Giorgetti intervient une seconde avant que Draghi ne se mette à applaudir ‘’Non, ne le fais pas. On n’applaudit jamais depuis les sièges du gouvernement’’. Le tour de force a été à la fois fatiguant et riche en émotions, comme Draghi l’a reconnu lui-même en disant que l’exercice était ‘’intéressant’’. C’est aussi une nouveauté pour ses ministres, qui ne savent pas encore comment se comporter avec lui. Ils représentent, à bien y regarder, deux mondes différents qui ont eu rarement l’occasion de se croiser. Draghi vouvoie pratiquement tous ses ministres. A l’exception de Giorgetti, qu’il connait depuis son expérience à la Banque d’Italie, et de R. Brunetta, qu’il connait depuis toujours. Si cela montre la distance avec ses ministres, imaginez-vous celle qu’il peut y avoir avec les parlementaires. Pendant ces 48 heures, Draghi a écouté les parlementaires pour les comprendre et ces derniers ont fait de même pour l’analyser ».
ARTICLE, La Repubblica, « Au Sénat, l'actionnaire majoritaire est désormais le centre-droit » : « L'unité nationale ne peut pas être attribuée à un clan. Mais, un fait politique d'une importance non négligeable vient de se produire : les forces de centre-droit, au Sénat, ont dépassé la coalition progressiste qui comprend le PD, le M5S et le Leu et qui, malgré de nombreuses controverses, devrait former un seul intergroupe. Le vote de confiance d'hier soir à la Chambre, bien que de manière moins marquée qu’au Sénat, a confirmé un glissement vers la droite de l'axe de la majorité qui soutient Draghi. C'est l'effet, dans les deux chambres du Parlement, de la dissidence manifestée par une partie du M5S qui a érodé la force du Mouvement. Le premier ministre dispose d'une très large coalition et ne court pas de risques. Mais c'est la physionomie de cette coalition qui change. Au Senat, les 21 défections au sein des M5S (15 voix contre et 6 qui n'ont pas participé au vote, sans compter les deux absents) font tomber l'équipe à 71 membres, à ajouter aux 35 sénateurs du Parti démocratique et aux 4 de Leu. Les calculs sont vite faits : l’alliance jaune-rouge compte maintenant 110 sénateurs, contre les 115 de Fi et de la ligue. Cela signifie que, même sans les 19 sénateurs des Fratelli d'Italia qui ont voté contre la confiance, les deux composantes de centre-droit de la coalition qui soutiennent Draghi restent plus nombreuses que les partis progressistes. Si Fi et la Ligue n’avaient pas fait partie du très large éventail de Draghi, s'ils n'avaient pas répondu à l'appel à l'unité nationale de Mattarella, il n'y aurait pas de majorité absolue pour le Premier ministre au Sénat, selon les résultats d'hier : il y aurait eu seulement 152 oui, sans compter les sénateurs à vie. Avec ces chiffres, il sera plus facile pour les forces les plus conservatrices de faire adopter des mesures qui leur plaisent : Matteo Salvini, il y a quelques jours, s'est dit convaincu que s’il était au sein du gouvernement, il n'aurait pas trop à lutter pour "trouver une convergence sur des sujets brûlants comme la justice, les impôts, les grands chantiers, le contrôle de l'immigration. »
COMMENTAIRE, La Repubblica, S. Folli : « La Ligue, parti observé avec attention par le gouvernement » : « Au Sénat, en raison du jeu des nombres et de la dissidence au sein des 5 étoiles, le poids du centre-droit dépasse désormais celui de la coalition jaune-rouge : en pratique, peu de changements, si ce n'est la perception que dans le vaste équilibre parlementaire sur lequel repose Draghi, le centre de gravité se déplace un peu vers la droite et se déplacera encore plus si les 5S continuent de se désagréger. Et cela donne plus de poids à Salvini. Après tout, personne ne devrait s'étonner que le parti de la Ligue soit examiné avec une attention particulière en Italie et à l'étranger : comme on le sait, jusqu'à récemment, il n'était pas un exemple de fiabilité, tant sur l'Union que sur les relations avec les États-Unis. La casquette portant l'inscription "Trump 2020" que Salvini l’a décrédibilisé, surtout maintenant que Biden est à la Maison Blanche : cela n'a certainement pas aidé à oublier la relation opaque avec Moscou ; ou les enchevêtrements avec l'extrême droite européenne, de Le Pen aux Allemands de l'AfD. Aujourd'hui, tout cela semble appartenir au passé, mais c'est un passé qui est encore trop proche pour que des doutes ne surgissent pas ici et là, en particulier dans certaines chancelleries d'Europe du Nord. Après tout, c'est le parti le plus fort dans les sondages, et une formation nécessaire pour soutenir le gouvernement Draghi. Ces derniers jours, le sénateur Bagnai et M. Borghi, les deux pourfendeurs de l'Europe et de la monnaie unique, ont été chargés d'interpréter la nouvelle ligne de manière convaincante. Borghi est venu hier réprimander Draghi pour qu'il "ne trahisse pas le drapeau italien", car dans ce cas la Ligue sera implacable. Un singulier jeu de miroirs, si l'on se souvient de l'usage que Bossi entendait faire du drapeau italien en période de sécession. Aujourd'hui, l'ancien dirigeant rejeté par Salvini vote également avec discipline la confiance en faveur de l'ancien président de la BCE. Et en fait, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, car le parti a pris différentes formes en plus de trente ans. Avant le sécessionnisme, plus que tout autre vœu pieux, la « Lega « originelle était le parti du Nord, incarnant la "question du Nord" et donnant la parole à un certain monde économique entre la Vénétie et la Lombardie, aux nombreux petits et moyens entrepreneurs qui se sentaient oubliés par Rome et dénonçaient les privilèges - selon eux réservés au Centre-Sud. Puis il y a eu, comme on l'a dit, la phase séparatiste. Puis, par une audacieuse pirouette, nous avons eu la Ligue nationaliste ou "souverainiste". Mais le faible succès de la projection vers le Sud a réorienté l'attention vers les demandes du Nord. Un retour aux origines, pourrait-on dire, dans lequel Salvini est flanqué d'un Giorgetti et d'un Zaia. C'est à eux de ne pas perdre de vue le chemin qu'ils viennent de prendre. »
COMMENTAIRE, Corriere della Sera, de M. Franco « Une tension parmi les populistes qui se répercute sur les coalitions » : « L’effritement du Mouvement 5 Etoiles semble aller bien au-delà de leur nombre au Parlement. Le problème se posera très vite également au niveau local, lorsque l’alliance entre les partis de la coalition du précédent exécutif (Pd-M5S, LeU) pourrait alors se révéler illusoire : un M5S en mal de leader, et la débandade ne peut rien garantir de son électorat. Le naufrage de l’intergroupe parlementaire, en quelques heures, est significatif. L’initiative semblable lancée au centre-droit a connu le même sort. C’est le genre de contrecoup que pourra produire la coalition de Mario Draghi. Après avoir été mises à rude épreuve, les alliances tentent de se recomposer en vue des prochaines élections dans les grandes villes. Mais les anciens liens se brouillent et de nouveaux pourraient se créer, à l’aune de l’unité nationale. Les cartes sont ainsi destinées à être rebattues dans les prochains mois : en témoigne d’ores et déjà l’entrée de la Ligue au gouvernement et le nouvel européisme de Salvini. Le déchirement des Cinq Etoiles montre combien les populismes sont mis sous tension par cette nouvelle phase. Reste à voir à qui profitera et qui subira les nombreux changements qui se profilent au sein des forces politiques. »
ANALYSE, Sole 24 Ore, de L. Palmerini « Le nombre de voix est confortable mais à l’intérieur des partis la tension est grande » : « On remarque de plus en plus les fissures qui traversent les partis de la majorité. Le problème n’est pas tant la cohabitation avec les adversaires politiques, mais les turbulences au sein des principales forces. Les Cinq Etoiles sont au bord de la scission, ce qui, pour certains, pourrait ne pas être une si mauvaise chose car cela apporterait de la clarté au Mouvement, et dans l’espoir que Conte en prenne la tête. Au sein du Parti démocrate non plus, l’atmosphère n’est pas très bonne. La création de l’intergroupe parlementaire avec LeU et le M5S a contrarié la base réformiste du parti, ce qui rend d’autant plus difficile de mettre en place une alliance structurelle… Les difficultés à nouer des alliances se retrouvent aussi dans le « dossier de la mairie de Rome », alors que l’on appuie la candidature de l’ancien ministre Gualtieri sans que Virginia Raggi ne retire la sienne. Les élections municipales s’annoncent périlleuses. Pour ce qui est de la Ligue, les rapports entre le parti et le gouvernement sont bien entre les mains de Giancarlo Giorgetti le modéré plus que de Matteo Salvini. Celui-ci va devoir réorganiser son leadership, si toutefois Giorgia Meloni n’empiète pas trop sur son terrain.»
(Traduction : ambassade de France à Rome)
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